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24. Quand le travail sur soi nourrit son drame personnel...

Cet article est dans la même lignée que celui de la semaine dernière. En effet, alors que l’article « Quand le travail sur soi devient un but en soi… » met en lumière le risque de confondre l’outil (le travail sur soi) et le but (être en paix, être heureux, revenir sur son chemin de vie…), l’article suivant aborde une impasse beaucoup plus dangereuse : celle de se complaire dans son drame personnel au travers du travail que l’on fait sur soi.

 

En lisant la phrase ci-dessus, il y a de fortes chances pour que la moutarde vous monte au nez rapidement ! Si tel est le cas, vous vous pensez sans doute : « Non mais qu’est ce qu’il ne faut pas entendre : comme si ça m’amusait de souffrir ! », « N’importe quoi, bien sûr que je veux aller mieux ! », ou encore « Ouiii, je dépense une énergie folle à travailler sur moi pour le plaisir de ressasser mes problèmes : et puis quoi encore ?! ».

 

Il est difficile (voir impossible) d’entendre une chose pareille, c’est vrai. Et pourtant… nous sommes, dans certains cas, beaucoup plus attachés à notre drame personnel que ce que nous le pensons ! Pas par bêtise ou par goût pour le masochisme, mais pour diverses raisons que je vais vous présenter ci-dessous.

 

 

Ah, parce qu’il est possible de ne pas être en crise ?!

 

Pour commencer, nous pouvons être attachés à notre drame personnel car… nous ne sommes pas en mesure de nous représenter « l’absence de drame » ! Bizarre ? Pas tant que ça non… Prenons l’exemple d’une personne qui, depuis sa tendre enfance, évolue dans un climat précaire, instable, conflictuel… où les figures d’attachement (parents, membres de la famille, adultes référents…) ne parviennent pas à rassurer l’enfant. Cette personne encode dès son plus jeune âge l’information selon laquelle une situation normale est une situation instable où la méfiance est de mise ! Pour elle, un tel encodage a malheureusement toutes les chances de rester d’actualité à l’âge adulte, ce qui la conduira à attirer, (voire à rechercher) un climat identique (dans sa vie affective, professionnelle…) ! Cette situation de crise est certes dysfonctionnelle, mais la personne s’est construite dans ce climat qui fait office de norme pour elle, climat dans lequel elle a ses repères, et donc les outils pour s’orienter.

 

Dès lors que la normalité correspond à la crise, il devient extrêmement difficile de se représenter l’absence de celle-ci… Se représenter autre chose revient à se plonger dans le noir, à se jeter dans le vide, c'est-à-dire à se mettre (inconsciemment) en danger. Ainsi, tenir à son drame personnel n’est pas, pour l’inconscient, une auto-flagellation : c’est au contraire un moyen de se protéger…  

 

 

Les loyautés familiales

 

Les loyautés que nous avons (consciemment ou non) à l’égard de notre famille peuvent, à elles seules, justifier l’attachement à notre drame personnel. La psychogénéalogie est une discipline passionnante qui révèle les loyautés qui nous lient aux membres de notre famille, mais également à nos ancêtres, de manière consciente et/ou inconsciente. En effet, en construisant son arbre généalogique selon la méthode d’Anne Ancelin Schützenberger (voir son livre « Aie, mes aïeux ! »), nous pouvons observer avec surprise (ou avec effroi !) que nous reproduisons, le plus souvent sans le savoir, des situations (agréables ou douloureuses) vécues par nos ancêtres, situations que l’on pourrait qualifier de « dettes impayées ».

 

Alexandro Jodorowsky, quant à lui, ne parle pas de « dettes », mais de « possessions » par les ancêtres, ancêtres à qui l’on doit obéissance en imitant le clan familial (voir son livre coécrit avec Marianne Costa : « La famille, un trésor, un piège : la métagénéalogie, comment guérir de sa famille »).

 

La psychologie universitaire, quant à elle, n’enseigne pas la psychogénéalogie. Néanmoins, le courant psychanalytique note également la présence de loyautés inconscientes envers ses parents. Par exemple, obtenir un diplôme que le parent n’a pas pu obtenir peut être inconsciemment vécu comme une manière symbolique de le tuer. Pour réparer cette faute (inconsciente) et donc se libérer de la culpabilité, le sujet préfèrera alors échouer tout ce qu’il entreprend…

 

Vous voyez donc que le drame qui est le nôtre peut avoir, dans certains cas, une importance telle que sa disparition engendrerait, sans que vous le sachiez, plus d’inconvénients (ex : mise à l’écart du clan familial, culpabilité…) que d’avantages !

 

 

La perte des avantages issus du drame personnel

 

A ce stade, vous avez sans doute commencé à entrevoir le fait suivant : un drame personnel a certes, de lourds inconvénients, mais il a aussi des avantages ! Ces avantages sont rarement conscientisés, mais ils sont pourtant là, et renoncer à ces derniers peut s’avérer plus difficile que prévu…

 

Les avantages du drame personnel ne sont pas sans évoquer les  avantages du symptôme selon la psychologie psychanalytique. En effet, le symptôme, dans les logiques névrotiques, permet (entre autres) d’apaiser l’angoisse et d’apporter des bénéfices secondaires. Et dans les logiques psychotiques, le symptôme est considéré comme une tentative de guérison nécessaire, voire vitale !

 

Et oui, il y a toujours des bénéfices cachés dans ce qui nous détruit, bénéfices qui nous attachent à notre drame personnel ! Pour prendre conscience de ces derniers, Guy Corneau, dans son ouvrage « Victime des autres, bourreau de soi-même », suggère l’exercice suivant aux pages 216-217 :

 

«  Laissez votre inconscient vous suggérer une situation problématique et répétitive qui entraîne chaque fois pour vous des difficultés. Tentez de saisir les gratifications inconscientes qui sont attachées à vos comportements. Quelles sont les récompenses cachées ?

 

Par exemple, revenons au cas de Mireille, qui mangeait sans appétit. En considérant son geste, elle découvre peu à peu que la nourriture lui tient compagnie, lui permet donc de mettre en échec un sentiment d’isolement et de solitude profonde. Voilà la prime inconsciente. En outre, nous pouvons penser que l’intensité ressentie pendant l’acte de manger sans retenue lui offre un dérivatif à l’ennui.

 

Je vous propose donc de chercher dans votre vie une situation similaire et d’utiliser votre imagination pour découvrir les bénéfices occultes que vous retirez d’un comportement compulsif ou contraignant. Rien ne vous vient ? Normal. Nous ne sommes pas habitués à penser de cette façon. Insistez. N’écartez aucune hypothèse, même celles qui vous semblent simplistes. Dans les jours prochains, laissez cette question flotter en vous. »

 

Bien entendu, cet exercice ne se limite pas à un comportement compulsif ou contraignant : il est tout aussi approprié à des situations telles un trait de caractère dérangeant (ex : timidité), une maladie, etc…

 

Guy Corneau offre également une piste pour sortir de la dépendance aux bénéfices des situations dérangeantes. Je continue de le citer :

 

« Finalement, imaginez comment vous pourriez troquer de telles récompenses contre d’autres, capables de combler les besoins en jeu. Il ne s’agit pas de se livrer à un travail intellectuel, mais plutôt de laisser monter les suggestions de l’intérieur.

 

Rappelez-vous les nouvelles attitudes que notre jeune femme a finalement adoptées. Elle nous dit qu’elle suit un cours de gym pour améliorer son image. Elle nous parle de dessiner, de se balader dans la nature et d’écrire. Ainsi, elle répond à sa solitude en donnant place à un élan de création ; du coup, elle se rend compte qu’elle n’a pas aussi intensément besoin qu’elle le pensait de la compagnie des autres. »

 

Il conclut en disant :

 

« Si vous acceptez l’hypothèse qui guide cet exercice, à savoir qu’il y a des bénéfices cachés dans ce qui nous détruit, vous vous rendrez bientôt compte combien vous êtes attaché à ce dont vous dites vouloir vous débarrasser. Dans un premier temps, cette prise de conscience ne vous apportera pas de paix intérieure. Au contraire, elle vous insufflera une lucidité dérangeante. Parvenu à ce point de la démarche, il faudra vous rappeler qu’il n’est pas question de se juger mais de s’accueillir avec bienveillance. De toute façon, rassurez-vous, un jour ou l’autre, vous vous autoriserez à vous donner vous-même ce dont vous avez réellement besoin pour être heureux – personne d’autre ne peut vous le donner ».

 

Ainsi, la confrontation aux bénéfices d’un problème est certes, douloureuse et inconfortable, mais c’est un remarquable moyen pour se sortir du piège qui consiste à alimenter son drame personnel au travers d’un travail sur soi plutôt que de s’en extirper !

 

 

Serais-je à la hauteur si ce que je désire se manifestait demain ?!

 

Enfin, il y a une autre raison qui pourrait justifier un attachement à son drame personnel, raison abordée dans le documentaire « La force de l’intention » d’Anthony Chêne et de Xavier Faye (Tistrya Prod) : la peur de ne pas être à la hauteur si ce drame venait à laisser place à ce que nous avons toujours désiré ! En effet, ce changement de situation impliquerait nécessairement d’adopter une attitude responsable, novatrice, créatrice, et donc de renoncer à son statut de victime (au sujet de la responsabilité, voir l’article : « Quelle est ma responsabilité ? »). Cette responsabilité fait peur car le pouvoir qui s’y rattache fait peur ! Et comme le dit justement Marianne Williamson : « Notre peur la plus profonde n’est pas que nous ne soyons pas à la hauteur, mais que nous soyons puissants au-delà de toutes limites. C’est notre propre lumière qui nous effraie le plus ».

 

 

Ainsi, le risque que le travail sur soi devienne une occasion de se complaire dans son drame personnel plutôt que de s’en distancier est réel. Dès lors que votre cheminement s’apparente à une boucle dont vous ne parvenez pas à sortir (en ressassant toujours la même histoire, en tentant toujours la même chose…), vous pouvez soupçonner à juste titre un attachement inconscient à ce qui vous fait souffrir. Oser vous confronter à cet attachement est difficile mais libérateur, car c’est cette remise en question qui vous assurera l’évasion de ce labyrinthe mental et émotionnel vers un chemin qui n’attend qu’une seule chose : l’expression de votre élan créateur !

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