Sur la route...
Etre éveillé, ce n’est pas être accompli : c’est être sur son chemin...
28. La communication non violente
« Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre. » (B. Werber)
Et oui, vous l’avez remarqué, la communication n’est pas chose aisée ! Que ce soit dans la rue, au travail ou chez soi, avec des inconnus, des collègues, son conjoint ou ses enfants, les difficultés à verbaliser ce que l’on pense, à écouter avec justesse, et à demander et obtenir ce que l’on souhaite sont courantes, pour ne pas dire habituelles !
Dans son livre « Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) » (livre qui est la source de cet article et dont je ne peux que vanter la qualité !), Marshall B. Rosenberg nous apprend à communiquer autrement par une méthode que l’on se doit de connaître et de pratiquer : la communication non violente.
La communication Non Violente (CNV) : qu’est ce que c’est ?
La CNV est une pratique du langage permettant de s’exprimer clairement, sincèrement et sans blesser l’autre. Pour cela, la CNV nous apprend à déjouer nos schémas de défense, de retrait et/ou d’attaque. Elle nous apprend aussi à cultiver une écoute bienveillante. Nous invitant à être dans l’élan du cœur à l’égard de soi-même et d’autrui, la CNV permet d’instaurer un échange respectueux et constructif entre deux interlocuteurs, climat idéal pour obtenir ce que l’on veut (non pas au détriment d’autrui mais, au contraire, avec son accord libre et consenti).
Quand la communication devient dysfonctionnelle…
Commençons par le commencement : quels sont les points qui ont l’art d’entraver l’échange entre deux interlocuteurs, et donc de rendre la communication dysfonctionnelle ? Quatre points ont la palme dans ce domaine !
- Les jugements moralisateurs envers l’autre : Nous pensons souvent bien faire en usant de la morale pour se faire entendre, comprendre, respecter, etc.... Malheureusement, il n’en est rien… En effet, en formulant des jugements moralisateurs, nous commettons une première erreur : celle de porter notre attention sur les torts de notre interlocuteur plutôt que sur nos besoins, sans réaliser que l’analyse que l’on fait de notre interlocuteur révèle en réalité… l’expression de ces dits besoins ! Pour illustrer mon propos, je ne peux que citer M. B. Rosenberg lorsqu’il écrit : « Si par exemple ma compagne a besoin de plus d’attention que je lui en accorde, elle est « exigeante et dépendante » ; si en revanche c’est moi qui ai besoin de plus de tendresse, elle devient « lointaine et insensible ». Si mon collègue est plus attentif aux détails que moi, il est « pointilleux et maniaque » ; si c’est moi qui le suis, il devient « brouillon et inorganisé » ». Pour résumer, nous devons apprendre à communiquer nos besoins différemment, c'est-à-dire clairement !
- Les comparaisons : Nous avons l’habitude de comparer les choses, les personnes, les situations entre elles, sans pour autant penser ou vouloir mal faire ! Pourtant, les comparaisons conduisent à des jugements (« je suis mieux que, moins bien que… ») qui mettent mal à l’aise et entravent fatalement la communication… A bannir donc !
- Refus de responsabilité : La responsabilité… encore elle ! Refuser d’assumer sa responsabilité, en plus de nuire à notre bien-être personnel comme nous l’avons déjà évoqué dans l’article « Quelle est ma responsabilité ? », entrave, voire ferme la communication. C’est pourquoi la CNV invite à assumer la responsabilité de ses sentiments (et de ses sentiments seulement, pas de ceux des autres !)
- Exprimer ses désirs sous forme d’exigences : Ce mode de communication dysfonctionnel, très courant, porte de façon masquée l’idée d’une menace et/ou d’une punition si l’interlocuteur refuse de satisfaire les désirs en question. De fait, cette manière de s’exprimer ferme totalement la communication…
Les 4 composantes de la CNV
Voyons maintenant les quatre étapes de la CNV qui, à l’inverse des points que nous avons vus ci-dessus, favorisent une communication respectueuse et constructive :
1. Observer sans évaluer : Oui, c’est difficile au début, et c’est normal ! Car nous avons tous tendance à émettre un jugement sur ce que l’on observe ! (« c’est bien, c’est beau, c’est moche, c’est mieux que ça, moins bien que ça, je préfère celui-là, je n’aime pas celui-ci, etc… »). Observer sans évaluer consiste à évoquer les faits et uniquement les faits, sans jugement : votre interlocuteur ne doit pas entendre une quelconque critique dans vos propos. Bien que nous ne puissions pas toujours être totalement objectifs, il convient tout de même de s’efforcer de l’être du mieux qu’on le peut.
Ex : « Tu es trop timide » est une observation mêlée d’une évaluation, contrairement à « Quand je te vois rester silencieux à chaque soirée, je pense que tu es trop timide ». « X n’est pas investi dans ses études » est aussi une observation mêlée d’une évaluation, alors que « X ne va pas en cours tous les jours » est une observation sans évaluation.
2. Exprimer ses sentiments : Exprimer ses sentiments consiste à exprimer l’état dans lequel nous nous sentons vis-à-vis des faits précédemment rapportés (vis-à-vis des observations sans évaluation rapportées si vous préférez). Là encore, cette étape est plus facile à dire qu’à faire, car nous avons plus de vocabulaire pour parler des autres que pour verbaliser nos propres émotions ! De plus, nous pouvons rapidement confondre un sentiment avec une interprétation mentale. Et… pour ne rien arranger, on nous a souvent appris qu’exprimer notre vulnérabilité était un signe de faiblesse… Or, exposer ce que l’on ressent sans jugement à l’égard de son interlocuteur rétablit bien souvent la communication, ce qui facilite alors considérablement la résolution des conflits.
Ex : « J’ai le sentiment que tu ne m’écoutes jamais » n’est pas un sentiment (bien qu’il y ait le mot « sentiment » dans la phrase), mais plutôt une évaluation de l’écoute de son interlocuteur (ici, écoute que l’on juge inexistante). Alors qu’une phrase telle que « Je suis dépité(e) lors de nos conversations » traduit réellement ce que l’on ressent. De la même manière, la phrase « je me sens incompris(e) » n’exprime pas réellement un sentiment, mais plutôt une évaluation quant à la compréhension des autres qui est, dans cet exemple, « mauvaise » ! En revanche, une phrase telle celle-ci : « Je suis découragé(e) » est claire et sans ambigüité quant au sentiment qui est le notre.
3. Verbaliser ses besoins : Exprimer ses besoins nous permet d’expliquer pourquoi nous nous sentons de telle ou telle manière, le sentiment en question étant nécessairement lié à un besoin, à un désir, à des valeurs, etc… En effet, ce sont ces besoins, ces désirs, ces valeurs… qui sont la cause de nos sentiments, et non pas les paroles d’autrui qui sont, au mieux, des déclencheurs ! En exprimant nos besoins et en leur accordant de l’importance, nous augmentons les chances que ces derniers soient satisfaits.
Ex : « Je suis en colère quand tu laisses tes affaires sur la table » n’est pas l’expression d’un besoin. Pour cela, il aurait plutôt fallu dire : « Je suis en colère quand tu laisses tes affaires sur la table, car j’ai besoin que la table soit libérée pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions ». De la même manière, « Je suis en colère quand tu me manques de respect » n’est pas l’expression d’un besoin (j’espère que vous avez reconnu l’évaluation du comportement d’autrui dans cette affirmation. Si oui, vous êtes sur la bonne voie !). La phrase suivante est plus appropriée : « Je suis en colère quand tu me dis ça, car j’entends tes paroles comme des insultes et j’ai besoin de respect ».
4. Formuler ses demandes : Il s’agit enfin de demander précisément ce qui nous serait nécessaire pour que l’on se sente bien. Pour cela, il convient d’exprimer ce que nous voulons plutôt que ce que nous ne voulons pas, et ce de façon claire, précise, et sans ambiguïté (un langage imprécis semant la confusion). En ayant exprimé préalablement nos sentiments et nos besoins, nous permettons que notre demande soit entendue comme telle, et non pas comme une exigence. Ainsi, notre demande a toutes les chances d’être satisfaite, non pas par soumission, mais par choix consenti, car la satisfaction de notre demande ne doit pas, bien entendu, se faire au détriment d’autrui, mais s’inscrire au contraire dans une relation sincère et empathique avec celui-ci.
Ex : « J’aimerais que tu viennes me voir plus souvent » n’est pas une formulation adéquate, car imprécise. Une demande claire serait plutôt : « J’aimerais que tu viennes me voir tous les week-end ». De la même manière, « Je voudrais que tu sois honnête avec moi » n’est pas une demande suffisamment claire, une action concrète n’étant pas vraiment formulée. En revanche, « Je voudrais connaître tes sentiments à propos de mon comportement à ton égard, et savoir ce que tu aimerais que je fasse différemment » est une demande claire, nette et précise !
Voici un exemple de la démarche complète à adopter (c'est-à-dire de l’application successive des quatre étapes décrites ci-dessus) donné par M.B. Rosenberg dans son ouvrage : « La mère d’un adolescent pourrait ainsi exprimer ces trois (premiers) points en disant à son fils : « Félix, quand je vois trois chaussettes sales sous la table du salon et deux autres sous la télé, je suis de mauvaise humeur parce que j’ai besoin de plus d’ordre dans les pièces que nous partageons ». Elle exprimerait aussitôt la quatrième composante, à savoir une demande précise et concrète : « Tu veux bien ranger tes chaussettes ou les mettre au sale ? » ».
Et comment écouter l’autre ?
Quand nous sommes en position d’écoute, nous devons tout simplement suivre la même méthode, en cherchant à obtenir de notre interlocuteur les quatre composantes décrites ci-dessus (Comment notre interlocuteur voit-il la situation objectivement parlant ? Comment se sent-il face à celle-ci ? Quels sont ses besoins ? Et que souhaiterait-il pour que ses besoins soient comblés ?).
Respecter ces quatre étapes permet d’être dans une écoute empathique à l’égard d’autrui, faisant de la CNV un langage bienveillant propice à la confidence sincère, sans peur du jugement.
Pour illustrer une écoute empathique et bienveillante, voici l’expérience que rapporte M.B. Rosenberg (MBR) dans son livre aux pages 53 et 54 :
« Le dialogue suivant eut lieu au cours d’un atelier que j’animais. Après environ une demi-heure d’exposé, je m’interrompis pour permettre aux participants de réagir. L’un d’entre eux leva la main et dit : « Vous êtes l’orateur le plus arrogant que nous ayons jamais eu ! ».
Lorsque j’entends ce genre de réflexion, je peux réagir de différentes manières. Par exemple, je peux me sentir visé personnellement : je sais que c’est le cas lorsque j’éprouve une forte envie de me plaindre, de me défendre ou de me justifier. Une autre solution (à laquelle je suis entraîné) consiste à riposter à ce que je perçois comme une attaque envers moi. En l’occurrence, je choisis une troisième possibilité en concentrant mon attention sur ce qui pouvait se cacher derrière les propos de cet homme.
MBR : (Tentant de deviner ce qui se cachait derrière les observations de mon interlocuteur). Réagissez-vous parce que j’ai pris trente bonnes minutes pour présenter mon point de vue avant de vous donner l’occasion de parler ?
Phil : Non, parce que vous présentez les choses comme si c’était si simple.
MBR : (Essayant d’obtenir plus de clarté). Ce qui vous fait réagir, c’est que je n’ai rien dit de la difficulté que certaines personnes peuvent éprouver à appliquer le processus ?
Phil : Non, pas certaines personnes, vous !
MBR : Vous réagissez donc parce que je n’ai pas dit que j’avais parfois du mal à suivre le processus ?
Phil : C’est bien cela.
MBR : Vous sentez-vous contrarié parce que vous auriez aimé avoir de ma part un signe montrant que j’éprouvais moi-même des problèmes avec le processus ?
Phil : (Après un moment.) Exactement.
MBR : (Plus détendu maintenant que je suis relié à son sentiment et à son besoin, je porte mon attention sur ce qu’il pourrait me demander). Voudriez-vous que je reconnaisse là, maintenant, qu’il m’arrive d’avoir beaucoup de mal à appliquer le processus ?
Phil : Oui.
MBR : (Ayant clarifié son observation, son sentiment, son besoin et sa demande, je vérifie en moi si je suis prêt à répondre à sa demande). Oui, j’ai souvent du mal à suivre le processus. Au cours de l’atelier, vous m’entendrez probablement décrire plusieurs situations où j’ai peiné… ou complètement perdu le contact… avec ce processus, cette conscience, dont je vous parle aujourd’hui. Mais ce qui me permet de traverser ces difficultés, ce sont les liens étroits que je vis avec les autres lorsque je parviens à rester dans le processus. »
A mon sens, la communication non violente est un outil incontournable pour faciliter voire rétablir une communication chancelante. De plus, cette méthode, en nous amenant à clarifier nos sentiments et nos besoins, nous offre dans le même temps toutes les chances de satisfaire ces derniers, et donc de nous sentir bien.
La CNV est également un moyen idéal pour cultiver l’empathie et la bienveillance à l’égard d’autrui, ces dernières étant garantes de conversations fluides basées sur le respect. L’empathie et la bienveillance permettent aussi de dissiper les malentendus, de résoudre les conflits, et donc de rendre les rapports avec les autres plus harmonieux.
Bien entendu, la CNV ne peut pas obliger un interlocuteur totalement réfractaire à la communication à prendre part à cette dernière. Malgré tout, la CNV reste, sans conteste, une communication au service de la paix qui nous manque cruellement aujourd’hui…