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3. Quand vous touchez le fond du puits : pourquoi vous ?

Pourquoi vous franchement ? Mais qu’avez-vous donc fait pour mériter ça ?

 

Pourquoi votre voisin, qui fume comme un pompier et qui boit comme un trou depuis trente ans, est en bonne santé, lui ? Et pourquoi avez-vous été frappé(e) par le même mal que votre ancienne collègue de boulot, celle là même qui a vingt ans de plus que vous, et qui n’a jamais eu la moindre hygiène de vie contrairement à vous ? Pourquoi ça vous arrive à vous si jeune, alors que vous aviez, vous semble-t-il, un mode de vie plutôt sain ?

 

Raisonne en vous des paroles toutes faites, que vous trouviez même un peu clichées « avant », du style « Bonne année, et bonne santé surtout… », « Tant que la santé ça va, c’est le plus important…». Vous revoyez votre mère et votre grand-mère, autour d’un café, prendre un plaisir non dissimulé à passer l’après-midi à énumérer les maladies des gens du quartier, passablement inquiètes, mais surement rassurées que le mal n’ait pas (encore) frappé à leurs portes… « Oh, et tu sais, la mère Martin là, mais siii, la maman de la petite Brigitte avec qui tu jouais quand tu étais petite, et bien, elle a pris un cancer elle aussi… ». « Nooon ! Mon dieu mais c’est terrible tout ça…». « Terrible oui, elle qui avait déjà perdu son mari qui avait fait un AVC six mois plus tôt, elle n’a pas dû supporter… ».

 

Vous repensez aussi à votre ex hypocondriaque, en bonne santé, paniqué(e) et agonisant(e) pour une gastro. Vous réentendez le toubib articuler le nom du mal dont vous souffrez, et ressentez l’effroi avec la même vivacité. Vous vous sentez désormais rangé(e) dans un groupe formé de vos frères et soeurs de galère auquel vous refusez catégoriquement d’appartenir.

 

Vous regardez autour de vous : c’est noir, étroit, confiné, sans issue possible. Vous relevez la tête : l’entrée du puits est à peine perceptible et inaccessible désormais… Vous êtes trop profond, si profond que la lumière ne vous parvient presque plus. De ces profondeurs, il vous arrive d’entendre les murmures de votre « vie d’avant », les appels de vos proches vous demandant naïvement de remonter, des rires, de la joie et une légèreté qui vous éventrent.

 

Vous hurlez votre rage. L’écho de votre hurlement vous transperce jusqu’au fin fond de vos entrailles. Vous versez tellement de larmes que vous n’en avez plus, et vos yeux sont si gonflés qu’ils ne s’ouvrent plus.

 

Puis, vient le jour où vous réalisez que vous vous êtes calmé(e). Pas par choix, mais par épuisement. Vos questions restent sans réponse, et finissent par se ranger dans un coin. Vous ne les entendez plus, mais elles fermentent. Votre colère, elle, ressemble à la lave d’un volcan endormi : silencieuse et bouillonnante. Vous retrouvez un semblant d’équilibre. Pour quoi faire, vous ne savez pas. Pour combien de temps, nous ne savez pas non plus…

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